L’abandon de poste et le chômage, changement de culture envisagé !

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Alors que l’assurance chômage était ouverte pour tout licenciement, un amendement a été déposé pour introduire un nouvel article L. 1237‑1‑1 dans le Code du travail. Si l’amendement était adopté, le salarié qui abandonnerait volontairement son poste et ne reprendrait pas le travail après avoir été mis en demeure serait présumé démissionnaire.

L’intérêt de la mesure en termes de gestion financière du système d’assurance chômage et d’exemplarité est compréhensible. Il faut même un certain courage politique pour proposer un tel changement de paradigme. Si dans le principe, l’initiative pourrait être saluée, dans le fond, le travail parlementaire doit permettre d’améliorer le dispositif sur plusieurs points.

Le système d’assurance chômage est un système assurantiel. Le salarié est pris en charge parce qu’il a cotisé. L’amendement proposé impliquerait qu’un tiers à la relation assuré / assureur (salarié / Pôle Emploi) devrait décider de l’ouverture ou non du droit à indemnisation. Cela nous place dans la même situation que lors d’un accident de voiture où le garagiste déciderait de la prise en charge par l’assurance.

En principe, ce n’est pas le Code du travail qui fixe les règles de l’assurance chômage mais les partenaires sociaux. Précisément, c’est le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 qui définit actuellement dans son article 2 la notion de « privation involontaire d’emploi » ouvrant droit à une prise en charge par le Pôle emploi. A notre sens, il eut été plus pertinent que le politique demande aux partenaires sociaux de travailler le point. Au cas présent, en introduisant cet article dans le Code du travail, de facto, le politique oblige l’organisme en charge de la gestion du système de chômage à évoluer.

Le rapport de force trouve toutefois ses limites dans la logique juridique. Si la question de l’ouverture des droits au chômage était tranchée par l’adoption de cet amendement, reste que la question du préavis dû par le salarié en cas de démission (prévu par le code du travail) ne l’est pas. Or, un salarié qui quitte l’entreprise sans réaliser le préavis dont il est débiteur peut être condamné au paiement à son employeur d’une somme équivalente aux salaires qu’il aurait perçu pendant la durée du préavis. Rien n’est dit sur ce point.

Il est précisé que c’est l’entreprise qui devra considérer le salarié comme présumé démissionnaire. En présumant démissionnaire le salarié, c’est l’entreprise qui va décider de le priver des droits qui lui auraient été servis par Pôle Emploi. L’entreprise porte le risque. Le contentieux à venir est certain.

A ce titre, il est même expressément prévu que le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. Doit on s’attendre à une multiplication des condamnations des salariés en absence injustifiée pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile ? ou à l’inverse des condamnations très coûteuses des employeurs qui auront licenciés à tort un salarié ?

Par ailleurs, le texte prévoit que le conseil de prud’hommes statue sous un mois. Une telle procédure accélérée est déjà prévue par le Code du travail pour traiter de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. En pratique, ce délai n’est (jamais) pas respecté. Et pour cause, selon les dernières données disponibles, le stock des conseils de prud’hommes aurait un « âge moyen » de 16.3 mois. A ce délai s’ajoute le délai d’appel pendant lequel le salarié sera potentiellement privé d’une indemnisation due. Prévoir un court délai pour trancher le point est une bonne intention, mais elle ne sera pas appliquée.

Enfin, sur la forme, nous pouvons regretter la médiocrité de notre Démocratie. Alors que l’amendement a été déposé par un parti politique, les autres partis plutôt que de se rallier à cet amendement ont décidé de déposer leur propre amendement sans chercher à le modifier ou à l’améliorer. La politique résiste donc aux règles de la propriété intellectuelle.

Au-delà de la critique du dispositif existant, la cohérence voudrait que le pouvoir de trancher l’ouverture des droits au Pôle Emploi soit déterminé par le Pôle Emploi lui-même. Concrètement, la rubrique « rupture du contrat » de l’attestation destinée au Pôle Emploi pourrait inclure un item « licenciement pour abandon de poste » (comme elle en comporte déjà plus d’une dizaine). Après modification de la règlementation d’Assurance chômage, le Pôle Emploi pourrait décider d’exclure le licenciement pour abandon de poste des cas d’ouverture des droits au Pôle Emploi. Le cas échéant, la contestation du refus de prise en charge passerait par l’intermédiaire de l’Instance Paritaire Régionale (IPR) qui permet au salarié d’obtenir le service des allocations chômage notamment après certaines démissions.

Bref, si l’idée est intéressante, la voie empruntée pour lui donner une traduction concrète doit être revue. Le dispositif du chômage est essentiellement paritaire, la cohérence impose de faire évoluer les règles dans le cadre du dialogue social. Dans tous les cas, cette tentative de prise de contrôle par le législateur des règles de l’assurance chômage renforce l’intérêt des échanges à venir sur le partage des responsabilités entre Etat et partenaires sociaux annoncé pour début 2023.

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Henri GUYOT, brl avocats, Docteur en droit

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